Découverte

Origine des goûts et arômes des rhums Martinique

Les plus anciens auteurs ayant décrit les premières eaux-de-vie de canne (comme Du Tertre) ont toujours souligné la présence marginale, conjointement au tafia de mélasse, d’un rhum « habitant », issu du seul jus de canne après broyage, en vantant son goût exceptionnel comparativement au premier.
Cette qualité a valu au rhum « habitant », aujourd’hui appelé rhum « agricole », de subsister malgré les crises sucrières et de s’affirmer en 1996 par l’obtention de l’A.O.C.
Cette récompense s’attache au produit de terroir, englobant divers éléments, plus ou moins interdépendants, agissant sur le produit final. Leur contribution aromatique s’effectue depuis la matière première jusqu’à sa transformation.

A ce jour, la molécule aromatique spécifique de la canne n’a pas été découverte. Toutefois, ses arômes principaux sont proches du jus frais, avec des notes florales caractéristiques (canne, miel, fleur d’oranger…) et de végétal. Des nuances existent selon la variété et l’environnement de culture de la plante.

Si certains veulent s’attacher à la variété de canne, son génome lui confère une expression d’une très grande variabilité. Une même variété de canne plantée à quelques kilomètres de distance pourra donner, un produit différent.
Les cannes sont également plus ou moins adaptées aux sols de la Martinique. Ainsi, par la pluviométrie, le nord aura des variétés différentes du sud et du centre et, même à l’intérieur de ces zones apparaissent des bassins canniers en fonction des spécificités locales, notamment de relief. Les rhumeries cherchent avant tout des cannes riches et de qualité. Se servant dans les bassins les plus proches, cela confère déjà à la production de chacune une certaine différenciation.

Le climat peut varier et si la canne demande une certaine quantité d’eau pour sa croissance, un stress hydrique lui est nécessaire pour atteindre sa maturité. Aussi, lors d’une campagne très sèche, se développeront les arômes de cannes mûres associés d’un peu de végétal sec (thé/tisane) et de fruits tropicaux en confiture. Au contraire, en année humide, la canne est encore suffisamment verte, avec une composante végétale plus accentuée (foin,…) et des notes de fruits frais, notamment d’écorce de lime.
Tout comme le vin, il existe une part de « millésime » dans les rhums agricoles, ce que ne peut prétendre le rhum de mélasse annihilé par la cuite du jus.

L’obtention du jus de canne n’est qu’une première étape. Ensuite, vient la fermentation qui peut consommer une partie des arômes présents, mais aussi en développer d’autres, à partir de « précurseurs » ou par des synthèses propres à la levure. Encore faut-il conserver les arômes souhaités au cours de la distillation.

La fermentation

Cette étape est essentielle dans l’élaboration du rhum agricole, de sa maîtrise dépendra la composition du produit final. Pour éviter tout risque de dérive sanitaire, bactérienne en particulier, des levures sont ajoutées au jus frais. Toutefois, il peut subsister une part plus ou moins importante de germes extérieurs provenant des champs (lactobacilles…).
En jouant sur la durée, la température, la densité du moût (donc le degré d’alcool), le choix du levain, sa quantité relative et son mode d’apport, les croissances des différents microorganismes seront modulées. Leurs synthèses spécifiques, aux conditions fixées, donneront la composition finale désirée du vin.

De l’expérience actuelle, il apparaît qu’un état sanitaire poussé conduit à des arômes de fruits amyliques (banane,…) plus importants, accompagnés de notes liées aux levures (pain d’épice, brioche…) alors que les fermentations moins draconiennes donnent des notes un peu plus oxydées (poire, ti-baum…) et végétales (alcools en C6, dits « lourds ») relevant le caractère de canne.

La distillation

Il est communément admis que la distillation ferait l’essentiel du rhum alors que sa participation aromatique reste faible, hormis quelques estérifications par le cuivre et le temps de chauffage (bénéfique à l’évaporation, mais maîtrisé pour éviter des goûts de brûlé). Le rôle capital de la distillation est dans la séparation de l’alcool et des arômes à partir du vin.

Ceux-ci sont plus ou moins volatils, aussi en fonction du montage des colonnes, du temps de chauffe et du degré de coulage (optimal entre 65 et 75% vol.), seule sera extraite une certaine fraction des fragrances du vin (issus de la canne et de la fermentation). Ainsi, un trop haut degré de coulage éliminera bien des composés (le produit obtenu sera plus neutre, style tequila) tout en apportant de l’acidité. Inversement, à un trop bas degré de coulage, seront présents des arômes plus rustiques, plus verts (herbacés)…

Le rhum de coulage est un rhum frais qui est souvent assez rude et impropre à une consommation immédiate, notamment par la présence d’aldéhydes. Ceux-ci réagissent avec les acides et l’éthanol présents pour donner des molécules aromatiques bénéfiques. C’est pourquoi la grappe fraîche est laissée en repos quelques semaines et brassée pour favoriser ces réactions lentes.
Le rhum de coulage est le tronc commun à l’élaboration de trois catégories de rhum reconnues par l’A.O.C. Martinique : le rhum blanc, le rhum élevé-sous-bois et le rhum vieux.

Le Rhum Blanc Agricole Martinique

Le Rhum Blanc Agricole, propre à la consommation, est obtenu par réduction contrôlée à l’eau neutre. Véritable image des étapes de fabrication, il portera des arômes floraux, fruités et végétaux propres aux conditions de son élaboration.

Le Rhum Elevé-Sous-Bois Agrico’ Martinique

Souvent connu par des marques choisies parmi la gamme de coloration qu’il peut prendre, ce type de rhum (anciennement appelé « rhum brun ») est mis sous chêne pendant au moins douze mois. De manière traditionnelle, il est élevé en grand foudre. A l’intérieur de ce dernier, par la faible surface de contact et le peu de temps passé, il gagne des arômes de bois tout en conservant ceux de sa matière première.
Ainsi, selon le temps et le degré de préparation, les notes florales seront plus ou moins présentes pour se transformer au fil du temps en arômes de fleurs jaunes, puis de pain d’épice, de miel, de même que le fruité évoluera vers les confitures, puis les fruits secs. Les caractères de la canne sont toujours présents alors qu’en même temps apparaissent les arômes de vanille, puis le boisé.

Le choix du vieillissement en petits fûts et pendant plusieurs années (plus de trois ans), amène à la disparition des arômes de cannes pour laisser apparaître, avec l’âge, selon le mode et la technique de vieillissement, des arômes très spécifiques, notamment par macération et microoxygénation (passage de l’oxygène à travers le bois).

Les notes fruitées évolueront des fruits secs vers des fruits à l’eau-de-vie, les épices passeront de la vanille à la muscade via la cannelle, et le bois se développera, en s’accompagnant entre autres, de notes de torréfaction (liées au brûlage des fûts)
comme le café ou le cacao. Ces évolutions aromatiques sont les marqueurs du vieillissement auxquelles sont associées des catégories telles que simple rhum vieux (3-4 ans), « Hors d’âge » (4-6 ans), « Millésime » (même année de récolte et plus de 6 ans),…
Le rhum agricole martiniquais, par sa spécificité aromatique, est unique en son genre. Ce résultat est le fruit de son élaboration avec un soin minutieux pour éviter toute altération.

De tels savoir-faire sont le propre de chaque distillerie et s’expriment dans la continuité de pratiques ancestrales modulées, aménagées ou amendées par l’expérience et l’évolution des connaissances pour garder l’âme de ce produit, de sa culture, véritable carte postale et ambassadeur de l’île.

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