Découverte

Relations commerciales avec le Canada

Ph. May explique les débuts difficiles du commerce antillais vers la métropole et la nécessité du Pacte Colonial (1665) afin d’empêcher que les produits antillais ne partent à l’étranger, particulièrement dans les Pays-Bas. Mais une des obligations du Pacte contraint la métropole de satisfaire à tous les besoins des colons. Ceci s’avère difficile et au cours du 17e siècle, la colonie naissante, connaît des moments de famine. Il faut y remédier. Un de ces remèdes sera l’établissement d’un courant commercial avec le canada.

Philippe May a écrit la plus remarquable histoire économique de la Martinique, et demeure une source d’information pour tous les historiens de cette île.

…« Colbert lui-même avait reconnu l’impossibilité dans laquelle se trouvait la Métropole de satisfaire à tous les besoins de la Martinique. Et, n’était-il pas imprudent de laisser le transport de ses subsistances en temps de guerre entièrement à la merci des flottes hollandaises et anglaises ? Par bonheur, le Canada et l’Acadie, dont le climat est semblable à celui du nord de l’Europe, produisaient des blés comme la France, on pêchait sur leurs côtes des morues et des poissons susceptibles, une fois salés, de remplacer les viandes d’Irlande. Leurs forêts offraient des bois excellents pour la construction des navires. Il fallait à tout prix lier le sort de ces colonies, dont les productions se complétaient si heureusement. En cas d’hostilités, elles se soutiendraient mutuellement ; nos possessions d’Amérique formeraient comme un organisme capable, à l’occasion de se replier sur soi-même et de vivre d’une vie réduite, mais de vivre. Un trafic s’établirait entre Québec et Saint-Pierre. Mieux, un circuit analogue à celui qu’accomplissaient les négriers dans le sud de l’Atlantique, pourrait s’établir entre nos côtes de l’Océan, le Canada et la Martinique.
Nos armateurs porteraient en Amérique du Nord les marchandises métropolitaines, y prendraient les poissons salés, la farine et les planches qu’ils troqueraient aux îles, avant de rallier leurs ports d’attache, contre les denrées tropicales. Les Canadiens, eux-mêmes, partant du Saint-Laurent et y revenant, pourraient avec profit entreprendre cette circumnavigation de l’Océan ».

Dès 1964, le gouverneur-général, Tracy, assurait que des relations entre les colonies pourraient bientôt s’établir.
Colbert, en 1668, quand il eût jugé notre commerce assez solide, ordonnait à Bass d’inciter les habitants au voyage du Canada, d’où ils pourraient tirer les navires indispensables au transport de leurs sucres. L’intendant Talon l’avait avisé que les Canadiens étaient tout disposés à entrer en liaison avec eux. La navigation deviendrait ordinaire entre les deux pays, ce qui serait fort utile.
En 1670, trois vaisseaux construits au Canada mouillaient à la Martinique. Pour favoriser ces premiers essais, Colbert déchargea aussitôt de tous droits les denrées que de tels navires, poussant plus loin leur voyage, pourraient porter en France. Mais le roi avait principalement en vue l’établissement d’un commerce réciproque avec la Martinique et pour cela, il était nécessaire de seconder de toute manière les habitants dans la construction des bateaux. Des ordres pertinents furent adressés à Talon et au comte de Frontenac, administrateurs de la Nouvelle-France.

Le projet était vaste et grandiose, mais une fois encore. Colbert devançait son temps. La distance entre les deux colonies était considérable pour les navires à voiles et s’il était relativement aisé de remonter des Antilles vers le nord, les vents faisaient défaut en sens inverse. Il eût fallu des bâtiments de gros tonnage, des capitaux importants, des denrées en quantité suffisante, pour donner lieu à un trafic profitable, toutes choses qui manquaient encore absolument.
Malgré le refus du roi de lui accorder un privilège de 10 ans, qu’il avait sollicité, le marquis d’Angennes-Maintenon, possesseur de la puissante raffinerie du Mouillage (Saint-Pierre, Martinique), tente cependant d’établir des relations avec Québec, en y envoyant un léger voilier chargé d’eau-de-vie de canne, de sucre et de tafia. Mais outre que les droits de sortie étaient prohibitifs, les évènements ne le servirent pas. Un incendie détruisit au Canada ce navire et sa cargaison. Tout était à recommencer. Ces efforts audacieux, Seignelay voulut témoigner qu’il les approuvait comme eût fait Colbert lui-même et il permit la sortie en franchise de la Martinique des denrées destinées au Canada. Mais ces facilités ne servirent de rien ; en dépit de quelques succès, le commerce de Canada ne réussit pas.
Le ministre s’en étonnait ; n’y avait-il pas de gros profits à faire ? A la Martinique, l’intendant avait une meilleure vision des choses. Les colons n’étaient pas en force d’entreprendre un pareil négoce. Seuls, les riches armateurs de Bordeaux ou de la Rochelle pouvaient s’engager dans les opérations d’une telle envergure et à si lointaine échéance. Mais la guerre qui survenait fit délaisser en France, pour un moment, tous ces projets.

La disette qui sévissait en 1708 les fît reprendre à la Martinique. Ne pourrait-on pas tirer du Canada les comestibles que la Métropole n’envoyait plus, la farine, les poissons, la bière et le cidre et aussi les bois, le charbon de terre pour les sucreries et les toiles pour les navires ? Mais les fermiers du domaine faisaient des difficultés. Tant que l’arrêt libéral de 1685 ne serait pas respecté, il n’y fallait pas songer. Le sel, les sirops, les sucres, le coton, le chocolat et les confitures constituaient, sans aucun doute, d’excellentes cargaisons dont la vente était assurée à Québec. Mais les assurances maritimes étaient fort élevées, surtout en temps de guerre et les gages de l’équipage pendant les six mois de l’expédition monteraient à plusieurs milliers de francs. Même, en vendant au Canada avec un faible profit, immédiatement remployé en morue, en farine, en poissons salés et en planches, il ne pouvait rester qu’un maigre bénéfice. Encore un système d’esclave bien compris, en diminuant la longueur des voyages, pouvait-il seul permettre quelque gain.

La famine devenant de plus en plus cruelle, tous ces calculs furent négligés et, en 1714. aucun navire n’étant venu de France, les colons (de la Martinique), firent des armements pour chercher des farines au Canada. Aucun trafic régulier n’était pourtant pas établi.
En 1727, alors que l’interdiction du commerce étranger était réitérée, le ministre jugea bon en contrepartie de favoriser les relations avec un pays dont la farine et les salaisons pourraient se substituer à celles des Hollandais et des Anglais. L’exemption du droit de poids de 1 0/0 et de 3 0/0 était accordée, pour toutes les denrées de l’île et, en outre, pour le sucre celle de droit de 40 sols par quintal perçus à leur entrée en France, mais que l’on faisait payer à la sortie de la Martinique, quant on autorisait le transport ailleurs que dans la Métropole. Cette détaxe fût utile. Ceux qui, en 1727, avaient armé des navires à Saint-Pierre n’avaient pas fait leurs affaires. Il n’était pas possible d’accomplir deux voyages dans l’année comme ils l’avaient espéré. Les négociants de l’île dès lors ne pouvaient s’engager dans des dépenses aussi fortes pour un trafic aussi faible. Seuls les navires de France étaient à même de relier avantageusement les deux possessions.

Le commerce de la Métropole se relevait en effet et sentait ses forces lui revenir. Le moment était favorable. Des rapports s’établirent entre Ille Royale et le Canada avec la Martinique. Des vaisseaux partirent de Luisbourg. Le ministre avait remarquablement coordonné les efforts de tous ses administrateurs. En 1730 des liens solides avaient été noués entre les trois colonies. Ce commerce nouveau était principalement soutenu par les vaisseaux de France, mais peu à peu les colons s’y adonnèrent eux-mêmes. Une solution fort ingénieuse avait été découverte au problème. Au lieu d’aller jusqu’à Québec, très éloigné, et qu’on ne pouvait atteindre en hiver sans affronter à grands risques les glaces du Saint-Laurent, les Martiniquais s’arrêtaient à I’lle Royale, ce qui leur permettait de faire les deux voyages par an nécessaires pour l’amortissement de leurs dépenses. Cette dernière colonie devenait ainsi l’entrepôt du commerce de Canada. Les meilleures relations persistèrent entre les deux grandes possessions françaises, qui ne cessèrent d’échanger les produits de leurs territoires et de leur industrie.

« On voit toujours avec plaisir, écrivait l’intendant de la Martinique, arriver les bâtiments canadiens ».
Il en était venu 19 en 1730, 25 en 1731, 34 jetaient l’ancre en 1732 et déchargeaient des marchandises pour une somme supérieure à 800000 livres. 18 de ces navires, appartenant à des colons retournaient au Canada y portant des sirops et des sucres pour plus de 100000 livres. Le rêve de Colbert était devenu une réalité. En 1743, 46 navires abordaient à Saint-Pierre et 30 en repartaient. L’Intendant de La Croix tenta d’accroître encore ce trafic en créant une puissante société unissant des armateurs de Rouen, de Québec et de la Martinique. Mais le projet était « beaucoup trop vaste, nécessitant trop de correspondants et des capitaux considérables ?.
Dix ans plus tard, 35 voyages avaient encore lieu entre Luisbourg et la Martinique. De nombreuses sorties furent également possibles en 1755. La Martinique seule soutenait la malheureuse colonie abandonnée par la Métropole. (nota : la France s’engageait dans la guerre de 7 ans et devait combattre sur plusieurs fronts à la fois : en Europe, au Sénégal, aux Antilles et au Canada, contre les Anglais tout particulièrement).

Puis ce fût la défaite et le traité de Paris (1763). Le commerce avec le Canada était anéanti.

(extrait du livre HISTOIRE ECONOMIQUE DE LA MARTINIQUE par Ph. MAY)

Abonnez-vous à notre newsletter et recevez en priorité les derniers articles.