Découverte

Les Bijoux Créoles

Superbes et fascinants, les bijoux sont aussi vieux que l’homme : apparus en effet dès l’âge de la pierre, les parures sont présentes dans toutes les civilisations.
D’abord colliers de coquillages, bracelets en dents d’animaux, l’art de la bijouterie a employé de nouvelles techniques et de nouveaux matériaux parallèlement à l’accroissement des connaissances : l’or et l’ambre ont été travaillés dès l’âge du bronze, et l’argent à l’âge du fer.
Maîtrisé donc depuis la plus haute Antiquité, l’art du bijou a évolué par l’alternance ou l’amalgame de différents styles.

C’est ainsi que le bijou créole, tout comme l’homme martiniquais, né «à ce carrefour imprévu de civilisations» est le résultat d’un métissage de cultures et de techniques différentes.
Résurgences caraïbes, apports européens, survivances africaines et particularités locales se sont mariés et ont fait naître le bijou créole fruit de l’ingéniosité, de l’imagination, et du savoir-faire de nos artisans.
Fils d’or, torsades et plaques d’or d’origine africaine et arabe, se sont ajoutés aux chaînes fines et fermoirs ciselés de tradition européenne, pour donner, plongés dans la réalité de la flore et de la faune martiniquaise : pomme-cannelle, collier-choux, chenilles etc…
Aussi le bijou créole, l’un des plus beaux fleurons de notre patrimoine, s’avère-t-il riche et varié de formes comme de couleurs, comme l’attestent la liste et la description qui vont suivre.

Les Boucles d’oreilles
Les boucles d’oreille de la Martinique sont destinées aux personnes ayant les oreilles percées, elles peuvent cependant lors de leur fabrication, par fantaisie, être montées sur clips.
Autrefois le percement des oreilles était l’affaire des femmes âgées qui opéraient à l’aide d’un bouchon en liège qu’elles plaçaient derrière le lobe de l’oreille, et d’une aiguille préalablement passée à la flamme. La croyance voulait qu’on ne perce pas les oreilles à la saison des prunes sous peine d’une mauvaise cicatrisation (apparition de kiloïdes).
a) Les Joncs : c’était le premier bijou offert aux enfants pour le percement de leurs oreilles. D’un 1/2 cm environ de diamètre, le jonc est composé d’un anneau creux et d’une tige pouvant s’y emboîter de façon à permettre à cet anneau de se refermer complètement. Les mères avaient alors la possibilité de le faire tourner au fur et à mesure dans le lobe de l’oreille en l’enduisant d’un corps gras ou d’un désinfectant afin d’aider à une bonne cicatrisation.

b) Les Créoles : de forme arrondie, leur fermoir est une tige recourbée, soudée à un anneau qui traverse l’oreille. De forme et de dimension variées, l’anneau peut être simple et lisse, torsadé, à noeuds ou alors cannellé ; c’est la boucle d’oreille considérée comme la plus ordinaire.
Datant vraisemblablement du XVIIIe siècle, elles ont été portées très tôt par les esclaves et surtout par les affranchies. Par la suite, c’était le bijou offert généralement aux petites filles à l’occasion de leur «communion privée».

c) Les Dormeuses : ce sont généralement les boucles d’oreilles, agréméntées de petites fleurs, des fillettes. Toutefois, elles étaient aussi portées, constellées de brillants, par les femmes de classe sociale aisée.

d) Les Pommes cannelles : tirent leur inspiration de la flore locale ; elles sont réalisées à partir de la technique d’origine arabe ou africaine de superposition des plaques d’or.
La pomme cannelle est composée d’un cercle d’or à l’intérieur duquel sont montés en cône des corolles aux pétales détachées rappellant les écailles du fruit : celles-ci se terminant au sommet par un grain d’or. Il ne faut absolument pas confondre pomme cannelle et dahlia.

e) Les Dahlias : toujours réalisé à partir de la même technique, le dahlia est composé d’un cercle d’or à l’intérieur duquel se juxtaposent une série de fleurs rondes ayant en leur centre un minuscule grain d’or.
Cette superposition de fleurs se termine par un gros grain d’or en son centre. Au niveau de la forme, le dahlia a un aspect «plus plat» que la pomme cannelle rappellant en cela la forme de la fleur.

f) Le «Tété négresse» : comprend un cercle de grains d’or à l’intérieur duquel sont montés en superposition une série de petites fleurs (les mêmes que celles du dahlia) se terminant par un grain choux au sommet – les femmes noires ayant la réputation d’avoir les seins bien formés et «pointus» (tété douboutt) – d’où cette appellation si réaliste.

g) Les nids de guêpe : utilisant toujours la technique de superposition des plaques d’or, le nid de guêpe comme son nom l’indique, présente une série d’alvéoles légèrement incurvées. La forme générale est celle d’un cône ayant au sommet une fleur avec parfois un grain d’or en son coeur.

h) Les Chenilles : les plus anciennes sont montées en créoles ; la chenille se compose de trois torsades de fins fils d’or elles-mêmes torsadées en un seul corps imitant la bête du même nom. Il existe une autre variante qui est la chenille sur feuilles de piments : la boucle d’oreille porte en son milieu un gros grain d’or monté en pendentif représentant le piment, et surmonté lui-même d’une vrille simulant les jeunes bourgeons.
Ce bijou peut se présenter, cerclé d’un anneau d’or, comme les pommes cannelles et les dahlias.

i) Les boucles d’oreilles à pierre : «On remarque l’absence de pierres précieuses (saphirs, topazes, diamant…) comme le signale Anca Bertrand : «Il est probable qu’il faut y voir l’absence d’une tradition artisanale africaine laquelle, surtout en Afrique noire, travaille très peu les incrustations…»
Il faut surtout dire que ces pierres coûtaient très cher et étaient réservées aux gens de condition aisée d’où l’emploi d’onyx, de grenat, d’ambre, pierres semi-précieuses beaucoup plus accessibles quant au prix.
– Les «pierres noires» : la boucle d’oreille est composée d’un cercle d’or entourant un onyx noir décoré en son centre d’un grain d’or.
– Les «nicolos» mauves ou bleus, présentent le même montage.

j) Les Pampilles : d’inspiration africaine ou arabe, la boucle d’oreille comprend environ huit petites nattes terminées par de petites boules d’or montées en pendentif sur une bague travaillée. Celle-ci est reliée à un grain d’or ou un noeud d’amour se terminant par une tige entrant dans le lobe de l’oreille.

k) «Les anneaux clous» : très spectaculaires et très anciens, les anneaux-clous utilisent la technique de fines plaques d’or enroulées en forme de cylindre se terminant aux deux extrémités par deux gros grains d’or. Ces cylindres accolés les uns aux autres sont montés en forme de panier surmonté d’une anse traversant le lobe de l’oreille.
Nous devons signaler que ces boucles d’oreilles étaient particulièrement extravagantes. Selon la fortune, les cylindres pouvaient être creux ou pleins.
Pleins, ils alourdissaient beaucoup la boucle d’oreille et pouvaient déformer le lobe de l’oreille. Il nous semble que ces anneaux clous tirent leur origine dans le vécu quotidien de l’habitation sucrière : les cylindres rappellent beaucoup la forme des «rolls» broyant la canne à sucre dans les anciens moulins des sucreries.

l) Les fagots de canne : relèvent du même vécu et utilisent la même technique de montage ; les cylindres d’or sont plus petits que précédemment, ciselés et noués par une feuille d’or simulant une «amarre» de canne à sucre.

m) Les feuilles de vigne : le modèle plus récent, d’inspiration européenne, comprend deux feuilles de vigne encadrant une grappe de raisin, l’ensemble étant enfermé dans un anneau ovale. Il existe deux autres variantes ; l’une comprenant la grappe seule, et l’autre les feuilles et la grappe de raisin sans cerclage d’or.
On peut voir à côté de ces formes traditionnelles les plus courantes, une série de pendants d’oreilles plus fantaisistes puisant leur inspiration dans la faune et la flore locale (bouquets de fleurs, oiseaux sur la branche,…), fabriqués selon les mêmes techniques du travail de fines plaques d’or.

D’autre part, certaines cassettes «bourgeoises» renfermaient des modèles d’inspiration européenne serties de pierres précieuses, de perles, de camées, de style Louis XVI, Empire etc…
Actuellement, on assiste à une éclosion de nouveaux modèles toujours inspirés de la flore et de la faune locale – comme les hibiscus, les anthuriums, les serpents – ou alors du folklore (têtes de martiniquaise calendées), de la géographie (carte de la Martinique).
Certains autres bijoux traditionnels, comme les grains d’or, les grains choux, la maille forçat, qui ne se portaient, anciennement, qu’en collier ou en bracelet sont volontiers montés depuis une trentaine d’années en boucles d’oreilles pour compléter les parures.

Selon la fantaisie aussi des bijoutiers, les modèles sont mélangés : on trouve alors des nids de guêpe agrémentés d’onyx ou de grenat, des pierres noires et des grains choux, des pendentifs composés de trois ou quatre pierres noires reliées entre elles par une chaînette, des grains d’or et des perles … etc.

II. Les Broches
De dimension plus importante, elles font parure avec les boucles d’oreille notamment les pommes cannelles, nids de guêpes, pierres noires, nicolos, chenilles, tété négresse et camées.
Les années 1950 ont vu l’apparition des broches araignées et orchidées venant de Guyane et du Vénézuela.

III. Les Bagues
Comme le signale Anca Bertrand : « (… )on remarquera l’absence, chez ce peuple de travailleurs manuels, de la parure de la main. Alors que les gens aisés ont fait de leur main un objet de raffinement (ongles laqués, bagues), l’antillaise pour qui la main demeure en perpétuel contact avec la terre et le travail manuel n’a pas inventé une seule bague».
Par contre, la tendance depuis une trentaine d’années est à l’invention de modèles de bagues complétant les parures (grain d’or, forçat, pierre noires, grains choux, grenat, hibiscus, anthurium…). Cela montre la profonde mutation ayant affecté la société martiniquaise.
Les louis d’or offerts pour les baptêmes ou les communions, étaient souvent montés en broche ou en bagues.

IV. Les colliers
De formes variées, les colliers constituaient l’élément principal de la parure ; pouvant atteindre parfois 7 mètres, ils couvraient pratiquement le cou.
Certains, comme d’autres bijoux, ont traversé les siècles et sont fabriqués par nos bijoutiers dans des proportions plus modestes. On distingue ainsi

a) Le forçat : ce collier est composé de paires de mailles ovales, creuses et emboîtées chaque paire étant composée d’une maille lisse et d’une maille striée.
Il peut être porté en ras de cou, en collier ou en sautoir (forme la plus courante anciennement), rappellant symboliquement la chaîne de l’esclave. Il était offert en gage d’attachement à la femme aimée. Les mailles de ce collier peuvent être de dimension variée.

b) Le Collier-choux : est formé d’une succession de boules d’or enfilées sur une chainette. Chaque boule est composée de deux demi-sphères striées de même diamètre et soudée l’une à l’autre. Anciennement, ce collier accompagnait plus particulièrement la tenue jupe-chemise et pouvait faire trois à quatre fois le tour du cou. Les boules creuses et légères donnent à ce bijou la fragilité d’une coquille.

c) Le Collier grain d’or : Enfilade de boules d’or lisses et rondes, creuses ou pleines, ce bijou rappelle par son apparence le collier de perles. Celles-ci étant interdites aux gens de couleur, on pense que les artisans bijoutiers ont inventé un bijou les imitant.
Autrefois, on le portait en plusieurs rangs autour du cou. Il existe actuellement des variantes qui sont plus ou moins récentes : le ras de cou aux grains de grosseur dégradée, le sautoir aux grains espacés, et toute une variété aux grains de différentes grosseur ou alternée avec des perles, des grenats, des grains choux…

d) Le collier «Gros-sirop» est une succession de deux doubles mailles soudées, emboîtées les unes dans les autres ; utilisé plutôt en sautoir, avec cassolettes, il accompagnait la grand’robe de cérémonie.

e) La «Marchande de sirop» : est un collier plus rare qui accompagnait aussi la robe de cérémonie. Il est composé d’une suite de deux petites bagues plates striées et emboîtées : l’une est posée à la verticale, l’autre à l’horizontale.

f) Le collier gourmette ou à mailles plates : comprend des mailles creuses soudées les unes aux autres avec alternance d’une maille biseautée et d’une maille lisse.

g) La chaîne torsadée : est formée de fil d’or noué en torsade rappellant une corde : elle est très courante en Afrique du nord. Elle est le plus souvent portée en sautoir ou en ras de cou.
Il existe une nouvelle variante plus récente ; la torsade dégradée portée en ras de cou.

h) Le collier à mailles concombre. Ce sont des mailles ovales avec un entrelacement de filigranes à l’intérieur, montées de façon espacée sur une chaîne à petites mailles rondes.

i) Les colliers «corail» et grenat : utilisent l’un, des pierres (grenats taillés à facettes) venant du Vénézuela ou de Tchécoslovaquie, l’autre des coraux taillés en baguettes ou en perles, enfilées sur une chaîne d’or ou un fil de coton pour les moins aisés.
Le corail et plus tard l’ambre, étaient portés pour leur vertu thérapeutique (bonne circulation sanguine, régulation de la tension…).

j) Les barillets et les cassolettes. Élément primordial du collier, le barillet sert en général de fermoir : richement ouvragé et de différente grosseur, il se porte le plus souvent à l’avant du collier. On distingue trois types de barillets – le barillet octogonal à facettes lisses ou à motif.
– le barillet en forme de noix le plus souvent à rainures incrustées.
– le barillet ouvragé à fleurs et à pierres incrustées.
Les cassolettes, d’origine d’Afrique du nord, sont des médaillons richement ouvragés, agrémentés de pampilles ; elles sont plus particulièrement portées avec la longue chaîne torsadée ou gros sirop, accompagnant la grand’robe de cérémonie.

V. Les bracelets
Ils sont le plus souvent assortis aux colliers sauf
– le bracelet grain d’or : formé de plusieurs rangs de demi-sphères de grains d’or reliées entre elles par une chaînette.
– le jonc rond : qui est un grand anneau d’or creux, s’ouvrant à demi par un mécanisme permettant de l’enfiler : les deux moitiés du bracelet étant liées pour la sécurité par une chaînette.
– le jonc plat : présente les mêmes caractéristiques. Il est beaucoup plus large et porte parfois des motifs ou une chenille sur sa face externe.
– le bracelet esclave est la réplique en or de l’original. Son fermoir porte un petit bout de chaîne rappellant les mailles de la chaîne d’esclave.

Les bijoux de «la tête»
On compte les épingles en or, les barrettes et l’épingle tremblante
– les épingles en or : véritables épingles à cheveux, les épingles en or sont parfois surmontées de trois petits cercles – ou alors d’un croissant de lune serti de petites pierres. Souvent portées par paire, reliées entre elles par une chainette, on les mettait à l’arrière de la tête sous la coiffe calendée, accompagnant la tenue de cérémonie.
– les barrettes en or : toujours portées par paire de part et d’autre de la tête sur les deux nattes supportant la tête calendée, elles étaient particulièrement de forme ovale et filigrane.
– l’épingle tremblante : très rare dans les cassettes de bijoux, celle-ci se mettait sur la tête calendée à l’avant de la tête. Composée de trois fils d’or torsadés, faisant ressort et se rejoignant à la base par un grain d’or auquel était soudée une pointe, l’épingle tremblante portée par les das, comportait à son extrémité tantôt un brin de cheveux tantôt une dent de lait de l’enfant cajolé.

Les hommes non plus ne sont pas oubliés bien que peu nombreux, les bijoux pour homme comptent quelques pièces qui peuvent selon la fortune, être plus ou moins extraordinaires, notamment la chaîne de montre, l’épingle à cravate sertie ou non d’une pierre ou d’une perle, les boutons de col et de manchettes.
Nous devons aussi signaler pour les bébés, les boutons en or liés entre eux par un fil rouge ou blanc, que l’on enfilait au dos des brassières.

Lyne-Rose Beuze et George Louis-Régis Psyché

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