Le Corossolier
C’est un petit arbre que tout le monde connaît en Martinique pour ses fruits et ses feuilles qui, en infusion, constituent paraît-il un excellent somnifère.
Originaire de Caracas (Vénézuéla) et naturalisé depuis de longues années dans toutes les Antilles, il paraît que les premiers plants ont été introduits au 17eme siècle depuis Curaçao, par les occupants français de la Martinique.
Voici ce qu’écrivit le Père Labat à ce sujet
« L’arbre que les Français appellent Corossolier et son fruit, Corossol, se nomment Guanabo chez les Espagnols, Cachiman ou Momin chez quelques autres Européens qui habitent l’Amérique… Les Français, qui en trouvèrent beaucoup de cette espèce en une île hollandaise près de la Côte de Carac, appelée Curaçao ou Curasso, ou Corossol par corruption, et qui en rapportèrent l’espèce aux îles françaises, lui ont donné le nom de cette île au lieu du sien propre, soit qu’ils ne le sussent point, soit pour quelque autre raison qui n’est point venue à ma connaissance. »
Le nom de Corossol fut très vite adopté par nos populations. Un village à Saint-Barthélémy et une rivière, sur la route de la traversée, dans le parc naturel de la Guadeloupe, s’appellent ainsi.
L’arbuste est très courant dans nos campagnes autour des maisons.
Un fruit comestible
Généralement assez gros, avec une vague forme de cceur, il peut atteindre en moyenne une longueur de 12 à 25 cm et un diamètre de 8 à 12 cm. Il est vert foncé, couvert d’« écailles » irrégulièrement coniques, recourbées et pointues. On reconnaît que le fruit est mûr, quand ces petites pointes commencent à noircir. La pulpe est blanche et contient de nombreuses graines noires ou brun foncé, aplaties, qui peuvent atteindre jusqu’à 1,5 cm de longueur et une largeur de 1 cm environ. Le Corossol se mange nature, en tranches, ou bien en jus, très rafraîchissant et légèrement acidulé. Ce sont les deux façons les plus courantes de le consommer aujourd’hui dans nos îles. Mais autrefois, au début de la colonisation, on rivalisait de recettes. D’après le Père Labat, il existait le Corossol frit avec de l’huile ou du saindoux, le Corossol en beignet et un « vin » de Corossol, très bon, paraît-il.
Corossol frit ou Corossol en beignets
« On le cueille souvent avant qu’il soit tout à fait mûr ; on le pèle, on le coupe par tranches, et après en avoir ôté les graines, on le frit avec l’huile ou le beurre, ou le saindoux que les Espagnols appellent Manteca, qui signifie Beurre… et on le mange avec un jus d’orange. Quelquefois, après qu’il est coupé par tranches bien minces, on le passe dans une pâte claire, et on le fait frire comme des beignets aux pommes, et on en mange avec le sucre et le jus d’orange. » (Père Labat) .
A vrai dire, pour notre part, nous n’avons jamais essayé ces recettes, qui nous paraissent assez extravagantes car sortant de nos habitudes alimentaires. Mais, encore une fois, nous ne pouvons qu’admirer le débordement d’imagination du Père Labat, et nous demander si à cette époque, il ne passait pas la majeure partie de son temps à la cuisine !
Un petit « vin » fort apprécié au 17e siècle
A fermenter pendant deux jours à peu près, le jus de Corossol devenait, paraît-il, « comme un petit vin gaillard et de plus agréable ». Si on exprime le suc de ce fruit, on en fait une liqueur tout à fait rafraîchissante et agréable, en y mettant un peu de sucre pour corriger la pointe de ses acides. Si on la laisse fermenter pendant trente à quarante heures, elle perd toute son acidité, et devient comme un petit vin gaillard et de plus agréable, mais qui donne furieusement à la tête. Ce vin demeure dans sa bonté pendant un jour et demi ou deux jours, après quoi il s’aigrit insensiblement, et en cinq ou six jours, il devient un vinaigre des plus forts. » (Père Labat).
D’autres utilisations
En plus de son utilisation en cuisine, le Corossol a aussi, paraît-il, des vertus thérapeutiques. Au 17e siècle, on pensait déjà que c’était un remède contre la fièvre. C’est ainsi qu’il était conseillé d’en faire manger quelques tranches aux malades. C’était aussi une médication de la diarrhée, causée par la chaleur.
En tisane, les feuilles du Corossolier sont très employées, car elles sont calmantes et favorisent la digestion. « On se sert aussi des feuilles macérées dans l’eau tiède, pour frotter les parties du corps affectées de coups de soleil » (R.P. Duss).
Mais c’est en infusion que les feuilles sont les plus utilisées dans nos îles, car elles sont, paraît-il, un excellent somnifère. Il fut un temps, où personne n’allait se coucher sans prendre son « thé de Corossol », car c’était soi-,disant le meilleur moyen de s’endormir paisiblement et de passer une bonne nuit. Combien de fois me suis-je fait réveiller d’un sommeil profond par ma propre mère, car j’avais oublié de prendre mon « thé de Corossol », c’est-à-dire mon fameux somnifère !
Une plante utilisée pour confectionner des lisières
Si de nos jours, la majeure partie des lisières sont faites de « Gliricidias » ou « Glicéridias » (Gliricidia septum Jacq.), aux 17e et 18e siècles, comme le notait déjà le Père Labat, il était courant de les faire en Corossolier « Le Corossolier vient beaucoup mieux de graine que de bouture. Quand on en veut faire des lisières, on plante les graines en pépinière, et lorsque les jets ont quatorze ou quinze pouces de hauteur, on les lève dans un temps de pluie, et on les plante au cordeau… Ces sortes de lisières viennent fort vite ; elles sont très bonnes, couvrent bien les lieux qu’elles doivent garder. Leurs feuilles qui sont fortes et en grand nombre, résistent facilement à l’impétuosité du vent, et leur bois qui est fort souple et ployant, est moins sujet à se rompre que des arbres plus raides, et plus forts ». C’est de cette façon que la majeure partie des Cacaoyères étaient protégées du vent.