La maison antillaise
L’habitat aux Antilles a subi des changements profonds au cours des trois derniers siècles, tant il est vrai que les maisons comme les agglomérations ne reflètent pas seulement les influerices climatiques et sociales mais aussi celles de l’histoire.
Si les Arawacks n’ont pas laissé des traces d’habitat visibles pour nous, nous connaissons mieux celui des Caraïbes, souvent décrit par les chroniqueurs de l’époque : marins, journaux de bord, voyageurs, etc..
Dans son essai de géographie humaine « LA VIE PAYSANNE A LA MARTINIQUE » le R. P. Delawarde parle des « mouïnas » caraïbes, petites cases près des carbets, abritant des vieillards, enfants et femmes. A part les mouïnas, les navigateurs découvrent dans ces îles des carbets, des cases et des ajoupas, souvent décrites et dessinées. Chaque hameau est constitué par une famille groupée autour du Père de la famille qui a sa case où vivent ses femmes et ses enfants non-mariés. Il faut, en fait, sous-entendre plusieurs cases autour du Père, car chaque case a deux ou trois chambres seulement, dont une sert de chambre à coucher et pièce de réception des visiteurs, l’autre étant la salle à manger. On y ajoute souvent une petite pièce, où ils entassent leurs caconnes : flèches, arcs, bijoux, hamacs, boutous ; avec l’arrivée des européens, ces caconnes comptent dans leur inventaire des couteaux, serpes, haches et miroirs.
Les enfants mariés se placent autour de ce cercle principal du Père, avec, à leur tour, leurs femmes et enfants.
« Ils (les caraïbes) sont séparés par familles et ces familles sont composées de plusieurs ménages qui demeurent ensemble et sont comme des hameaux sous le père de la famille ; les fils et filles duquel sont mariés et ont chacun leur case. Ils en font premièrement une grande commune à tous de soixante, quatre-vingts et cent pieds de long, plus ou moins qu’ils appellent KAREBET. Autour de cette grande, ils en font de petites pour chaque mesnage.
Ces cases sont faites de fourches d’arbres plantées en terre, jointes avec d’autres pièces de bois, qui tiennent de l’un à l’autre. Là-dessus ils mettent des chevrons qui vont jusqu’à terre et couvrent le tout de feuille de latanier ou de roseau. On n’y vois goutte qu’à la lueur du feu qu’ils y font ou par le trou par lequel ils entrent qui est hault de deux à trois coudées. Les femmes nettoient les cases et les garçons le karebet, et la place autour. Le jour les hommes y mangent et la nuit se retirent dans les petites cases pour se coucher ».
(De l’origine, religion et autres façons de faire des Caraïbes, appelés communément sauvages, anciens habitants de la Guadeloupe, par le Père Ramond BRETON, Edition « ANNALES DES ANTILLES, n° 11).
Et voici la description que donne le R. P. Du Tertre du Carbet, dans son « Histoire Générale des Antilles » :
« Au milieu de toutes ces Cases, ils en font une grande commune qu’ils appelent Carbet, lequel a toujours soixante ou quartre-vingts pieds de longueur et est composé de grandes fourches hautes de 18 ou 20 pilds, plantées en terre. Ils posent sur ces fourches un Latanier, ou un autre arbre fort droit qui sert de faist, sur lequel ils ajustent des chevrons qui viennent toucher la terre, et couvrent de roseaux ou de feuilles de Latanier ; de sorte qu’il fait fort obscur dans ces Carbets, car il n’y entre aucune clarté que par la porte, qui est si basse, qu’on n’y saurait entrer sans se courber. Les garçons ont le soin de le nettoyer et balayer, et mesme tout autour d’y celui ».
La technique caraïbe demeure un des éléments de base de l’habitat des premiers colons. Dès qu’ils sont en possession d’une concession non-défrichée, ils s’installent près d’une rivière ou source, pour avoir de l’eau et construisent une case en matériaux qu’ils prennent dans le milieu environnant. Le Père Labat qui décrit les défricheurs de la fin du XVIIe siècle note
« On commence d’abord pour faire quelques cases de menu bois, que l’on couvre avec des feuilles de palmistes, de latanier ou de roseaux, après quoi on abat les arbres, en commençant à défricher par l’endroit où l’on veut faire le principal établissement.
La plupart des habitants ont la mauvaise coutume d’abattre les arbres les uns sur les autres, comme font les Caraïbes, et d’y mettre le feu quand ils sont secs, sans se mettre en peine si ce sont des bois propres à bâtir ou non, ou si le temps est propre pour les abattre et les conserver ; mais ceux qui ont du bon sens et de l’économie aiment mieux n’aller pas si vite et conserver tous les arbres qui sont bons à faire des planches, du cartelage, des poutres et autres bois de charpente, ce qui est un profit considérable, surtout à présent que les bois à bâtir deviennent très rares et par conséquent très chers ».
Il fût naturel que les défricheurs apprennent des Caraïbes leurs premières installations car ils savent seuls à créer des habitats frais adaptés au climat et leur apparente fragilité trouve une compensation dans la facilité avec laquelle on trouve les matériaux de construction. On le sent fort bien lors des cyclônes, car si les îles offrent au lendemain un aspect désolant, celui-ci est vite effacé dans les jours qui suivent.
On trouvera en fait, et dès le début de la colonisation, plusieurs types d’habitat, selon l’état et les possibilités des colons.
Les officiers et les marchands de Saint-Pierre font des maisons dites « charpenteries » en planches, couvertes d’essentes ou même de tuiles de Hollande que les navires (hollandais) apportent comme lest.
Les petits colons ou défricheurs, _qui sortent d’un milieu peu aisé (engagés libérés, artisans, soldats libérés), construisent des cases sommaires avec de menus bois, roseaux, lianes et qu’ils couvrent avec des herbes et feuilles tressées.
Le colon riche construira au cours du XVIIe siècle des habitations en bois et à partir du XVIIIe en pierres, maçonnerie et bois, couvertes de tuiles.
Pas de châteaux comme celui de Saint-Christophe, appartenant au gouverneur de Poincy (début du XVIIe siècle) ni comme ceux d’Haïti ou Saint Domingue. Les gouverneurs des Antilles construiront des bâtisses solides, et Du Parquet aura vers 1636-38 la première maison en pierres de taille au Quartier Monsieur, que les Caraïbes étonnés, essaieront de pousser de l’épaule afin d’en mesurer la résistance.
Les esclaves construiront sous le vent de l’habitation du maître leurs cases à la manière africaine, ce qui permettra au Père Delawarde d’affirmer que les cases des défricheurs sont faites à la manière de celles de leurs esclaves. Il est probable qu’à la vérité les défricheurs empruntèrent pour construire leur habitat autant aux Caraïbes qu’aux Africains
CASE DE L’ESCLAVE.
La case de l’esclave, telle que vue le Père Du Tertre se présente par groupes sur les habitations et sous le vent de la maison du maître.
« Elles n’ont guère plus de neuf à dix pieds de longueur sur six de large et dix ou douze de haut ; elles sont composées de quatre fourches qui en font les quatre coins et de deux autres plus élevées qui appuyent la couverture qui n’est que de roseaux, que la pluspart font descendre jusqu’à un pied de terre. Ceux qui la tiennent plus hautes, la pallissadent avec de gros pieux qui se touchent les uns les autres, sans se servir de roseaux comme les François, qui sont bien aises d’avoir de l’air ; si bien que leurs Cases sont closes comme une boëte, de peur que le vent n’y entre ce qu’ils font avec beaucoup de raison, parce que n’y estant presque jamais que la nuit, comme ces nuits sont extrêmement froides, ils seraient trop incômodez du vent et que grand air, ainsi le iour n’y entre que par la porte qui est de cinq pieds de haut.
Tous les esclaves d’une même famille bâtissent leurs Cases en même lieu, en sorte neantmoins qu’ils laissent dix ou douze pas de distance. Quand ils sont beaucoup ils font ordinairement un cercle et ils laissent une place commune au milieu de toutes les Cases, qu’ils ont grand soin de tenir toujours fort nette ».
LA CASE DU PETIT COLON.
Si on compare diverses descriptions des cases du XVIIe siècle il semble que le petit colon se construisit une chaumière qui tenait des cases caraïbes, africaines tout autant que des chaumières de son village natal. Il s’agit d’un habitat léger, frais, bon marché, fait avec les bois environnants. Le Père R. Breton signale même des cases de défricheurs en roseaux, les tiges servant de parois et les têtes pour le toit. On utilise des bois amers, résistants au climat et aux insectes : bois marbré, bois de fer, le courrauça, le figuier d’Amérique, le palétuvier, le bois lézard, l’angelin, le balata, le bois rouge, l’épineux, le bois rose, le gommier blanc, l’acajou rouge, le palmiste, etc… Une grande partie de ces bois a disparu actuellement par une utilisation irrationnelle des forêts. D’ailleurs le problème semble demeuré au même stade car on voit de nos jours des collines déboisées envahies par la broussaille sans qu’une entreprise rationnelle crée un mouvement de reboisement. Par ailleurs aucun village n’a été éduqué afin de savoir comment abattre des bois. Au XVIIe siècle, le bois donc est à profusion et le Père Delawarde, en partant des textes anciens décrit la case du petit colon dans les termes suivants :
Libéré, l’engagé d’hier, en passe de devenir maître de case » taillait dans un bois résistant à la pourriture et aux insectes, ses poteaux de case qu’il songeait parfois à garnir d’une semelle ; dans les endroits marécageux il trouvait des roseaux, il pouvait les ficher simplement en terre côte à côte et les relier transversalement par d’autres préalablement fendus en deux. Alors, si l’on n’ajoutait rien de plus, la lumière pénétrait dans la case comme dans la cage d’un oiseau, sans fenêtres.