Histoire et Culture

Le comportement religieux des premiers colons

Quand les prêtres faisaient défaut, le Commandant du quartier remplissait momentanément l’office du curé : « Il assemblait son peuple, écrit J.-B. Labat, les fêtes et les dimanches dans l’église, faisait quelque lecture ou exhortation, récitait les prières, avertissait des jeûnes et des fêtes ; et, je crois, faisait les corrections fraternelles à ceux qui s’écartaient de leur devoir ».

Le même Père Labat fut d’ailleurs accueilli à bras ouverts à son arrivée dans ses paroisses du Macouba, puis du François… Pour J. Rennard, la foi et le zèle des premiers habitants ne paraît faire aucun doute
« On aime à faire des dons et des cadeaux à l’église, et parfois des cadeaux de valeur : l’ostensoir du Marigot (Martinique) ou la croix de procession des Vieux-Habitants (Guadeloupe) en sont des témoignages ». Il n’y a pas à être surpris de cette foi populaire : au XVIIe siècle, l’athéisme est fort rare, c’est le privilège de quelques grands seigneurs libertins, ceux que leur nom met à l’abri des poursuites. De plus, la plupart des colons viennent de régions de France (Bretagne, Normandie) où l’emprise catholique est particulièrement forte. Ajoutons à cela les difficultés de leur entreprise, les risques encourus : ils ont vu mourir beaucoup de leurs compagnons, soit sur le bateau qui les amenait aux îles, soit à terre, d’une quelconque fièvre ou des suites d’un combat. La mort leur est familière et le besoin du dieu, là plus qu’ailleurs, se fait sentir.

Une vie peu édifiante
La christianisation par la force au 17e et 18e siècle. Croyants, les premiers colons le sont. Et pourtant, leur comportement n’est pas toujours d’une sainteté parfaite : bagarres, abus du jeu, des boissons, libertinage, donnent du fil à retordre aux premiers religieux, qui ne cessent de demander aux autorités des sanctions parfois très sévères (langue percée d’un fer chaud par exemple en cas de blasphème). C’est qu’il y a loin de la foi à la pratique des commandements bibliques dans un univers où débrouillardise, loi du plus fort, appétit de jouissance restent les vertus cardinales de la réussite, dans un univers où la menace de la mort, l’incertitude du lendemain, non seulement font songer à Dieu, mais aussi poussent à jouir au maximum de l’instant présent. Et loin de s’apaiser, cette soif de plaisir trouvera dans la miraculeuse prospérité des îles un élan nouveau.

Des êtres superstitieux
Il y a plus grave que cette distorsion entre la foi et la morale. Le catholicisme des premiers colons est entaché de toute une série de croyances et de superstitions que l’on a trop tendance à oublier. Les messes noires étaient courantes au XVIIe siècle, sorciers et sorcières faisaient partie du paysage, on les craignait, on les ménageait. Aux traditions catholiques se mêlaient dans des régions comme la Bretagne tout un merveilleux celtique, tout un corpus païen non négligeable. En règle générale, l’époque faisait mal la distinction entre sorcellerie, magie et religion : comme au Moyen-Age, Satan y luttait encore avec Dieu de toute sa présence, disons « physique ». Loin de n’être (comme il l’est aujourd’hui devenu pour beaucoup de théologiens et de fidèles catholiques) qu’un symbole, le Prince des Ténèbres vivait parmi les créatures de Dieu, les possédait souvent, donnant un sérieux travail aux exorcistes. Les prêtres eux mêmes vivaient dans la familiarité du Diable, prêts à le deviner sous le moindre jupon, à le poursuivre chez une pauvre hystérique, à le défier chez ce rival permanent qu’était le sorcier.
C’est ainsi qu’en 1657, on suppliciait à la Martinique une prétendue sorcière… Et qu’un peu plus tard, le Père Labat se mettait en devoir de débusquer les sorciers nègres, dont certains payèrent de leur vie quelques prophéties d’autant plus troublantes qu’elles se réalisaient parfois. Ainsi le Nègre de M. Vanbel, brûlé vif à Saint-Thomas en 1701, dont il nous conte dans ses Voyages la déplorable destinée… Non seulement on croyait à Dieu, mais on croyait à Satan, à ses pompes, à ses ceuvres, à ses serviteurs.
Et l’on croyait, contre certaines pratiques magiques maléfiques, à d’autres pratiques bénéfiques tout aussi magiques que les premières. Entre utiliser une poupée pour faire mourir à distance et prétendre chasser le Malin par l’aspersion d’eau bénite, il n’y avait guère de différence…

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