Notes sur le costume créole
Le premier texte cité sera celui, classique, du R. P. Du Tertre.
Le R. P. Du Tertre note dans son » HISTOIRE GENERALE DES ANTILLES « , les premiers habits :
« le luxe est grand dans les Isles, l’on est surtout fort curieux de beau linge, parce que la pluspart ne portent point de pourpoint : ils ont des chemises de toile de Hollande, fort belles, avec des cravates au col, qui ont plus d’une aune et demi de longueur. Les hauts de chausses sont de quelque beau drap ou de quelque belle serge brodée de passements d’or ou d’argent, ou chargez de quantité de galands.
Les Officiers sont ordinairement fort lestes et fort curieux en bouquets de plumes et en baudriers, à quoy ils n’y épargnent rien. L’on n’y porte point de manteaus, si ce n’est quand il pleut, ou quand on fait voyage. Un certain gaillard à ce sujet voyant un nouveau venu à l’église, avec un manteau sur ses épaules, le fit assigner devant le Juge, pour demander dédommagement contre luy ; de sa levée de pétun, disant qu’il la luy alloit faire perdre, par l’hyver qu’il alloit amener aux Isles.
Les femmes jouissent du privilège de leurs maris, et elles croyent que leur qualité de Soldats méritent qu’on les traite de Damoiselles. Elles en soutiennent assez bien le rang par leurs brauderies, mais particulièrement les femmes des Officiers, qui sont toutes de satin de couleur. De là vient que les vestües de deshabillés de taffetas, ou rubans sont l’une des bonnes marchandises, et qui a le plus de débit dans le pays, à cause de la prodigieuse quantité qu’il en faut et j’en ay veu avec d’aussi beaux points de gennes qu’en France. Il est vray que leur vanité et leur luxe a esté plus grand qu’il n’est pas à présent ; car elles mettoient autrefois sur elles, tout ce que leurs maris pouvoient gagner, et l’on eut dit qu’ils ne travailloient que pour faire les braves : ce qui avoit donné lieu à ce proverbe, que les Isles estoient l’enfer des hommes François, et le Paradis de leurs femmes…
La condition des engagés et des esclaves est précaire ; le vêtement l’illustre bien ; si le P. Du Tertre ne donne pas des détails sur la manière dont sont habillés ces engagés (Français amenés aux lies par un contrat de 3 ans, au cours duquel ils doivent leur temps exclusivement à leur maître, qui peut les céder à un second maître sans leur consentement), il décrit celui des esclaves:
Les hommes n’ont pour tout habit les iours de travail, qu’un méchant caleçon de grosse toile, pour couvrir leur nudité, et un bonnet à la teste ; et les femmes une jupe ou une cotte de la mesme étoffe, qui descend jusqu’à terre à quelques-unes : mais qui souvent ne va pas jusqu’aux genoux, sans bonnet, n’y autre chose qui leur couvre la teste.
Les uns et les autres n’usent jamais de chausses n’y de souliers, leurs petits enfants, garçons et filles, vont ordinairement nuds comme la main jusqu’à l’âge de quatre ou cinq ans ; et pour lors on leur donne une petite robe de grosse toile, qu’on leur laisse jusqu’à neuf ou dix ans, après quoy l’on habille les garçons comme leurs pères, et les filles comme leurs mères. Les dimanches et les festes, les hommes ont une chemise et un caleçon de couleur, avec un chapeau : les femmes ont aussi une chemise avec une jupe de toile blanche, ou de quelque serge rouge ou bleue. Etc’est tout ce que les Maistres sont obligez de leur donner quand ils les entretiennent .
Le P. Du Tertre note quelques lignes plus loin que : » les femmes sont curieuses de jupes de belle toile blanche, qu’elles préfèrent à toutes les étoffes, qu’elles portent avec les habits du dimanche des colliers et des bracelets de Rassade blanche à quatre ou cinqs rangs, avec des rubans de couleurs à leurs cheveux, à leur chemise et à leurs jupes.
Les hommes se rasent la tête par figures, tantôt à la façon des Religieux, mais la plupart préfèrent par bandes Les Noirs d’Angole ont une espèce de broderie au visage, au sein aux bras et aux épaules ; et il faut pour cela qu’on leur ayt déchiqueté la peau avec une lancette ou quelqu’autre instrument, et qu’on ayt remply les cicatrices de quelque drogue pour les faire lever ». A côté des colons, engagés et esclaves, notons les Caraïbes, dont les corps nus et beaux contrastent avec les nouveaux venus. Depuis, l’arrivée des Missionnaires, ils portent une » camisa » sorte de cache-sexe. Leurs femmes portent une sorte de chausse au-dessous du genoux et à la cheville, comme l’on peut encore voir de nos jours chez les Indiennes rencontrées à Saint-Laurent du Maroni, en Guyane Française.
Avec les affranchissements apparaît un nouvel habit, dont est né probablement le costume créole de nos jours. Selon Lafcadio Hearn le costume de baptême des Das n’était autre que celui de la belle affranchie : celui de certaines robes régionales françaises, mais on ne peut pas oublier non plus les robes à paniers et relevées sur leur jupe, comme on porta à Versailles et à Trianon, ? et le caractère des boubous africains, dont on retrouve dans le costume créole l’éclat des tissus, le savoir-faire des plis et le choix des coiffes et des parures en or.
Il semble que les gravures du XVII et XVIIIeme sciècles sont très pauvres en représentation du port créole des Petites Antilles et ne nous permettent pas de le définir exactement.
Dans son livre « Les défricheurs et les Petits colons de la Martinique au 17′ s. le Père Delawarde décrit le port des maîtres de case, ces petits propriétaires issus des engagés libérés ou des artisans, marins et soldats fraîchement installés dans la colonie, qui vivent comme les paysans français, proches de leurs aides, les esclaves. Le statut social les sépare des esclaves mais ils ont une vie quotidienne commune.
« Coiffé d’un bonnet ou d’un chapeau de paille, d’un court caleçon et d’un gilet de flanelle ou bien encore d’un costume de solide étoffe grise importée de Hollande, le petit cultivateur défrichait, plantait et récoltait sur les pentes des mornes, à un rythme nouveau pour lui, sous un dur climat où la végétation est continuelle. La nuit tropicale tombait trop vite à son gré, il allumait alors une torche de « bois chandelle » ou autre essence gomeuse et manufacturait son pétun avec ses aides. Dans les temps de presse la journée était de 16 à 18 heures ».
l’auteur note que « le maître de case partageait en somme la vie de son esclave, bien qu’il arborât ses attri?buts d’homme libre : une canne, des armes le dimanche, et le verre de vin qu’il buvait seul quand il pouvait se l’offrir. »
L’ouvrage nous révèle que « vers 1640 des femmes noires converties et affranchies, épousèrent des Français quieurent pour elles tous les égards. Ici Delawarde prend sa notation d’une ANCIENNE RELATION DE VOYAGE AUX COLONIES FRANÇAISES DES ANTILLES publiée par L. P. PH May en 1932 dans le numéro de juillet-août de la revue « TERRE AIR MER ». Texte antérieur à 1664, semble-t-il, est attribué au Père PACIFIQUE DE PROVINS. Avec le régime agricole des plantations sucrières, cet état d’esprit devait disparaître vers 1670, époque à laquelle apparaissent lés commandeurs.
A la fin du XVIIeme, le Père Labat, (arrivé à la Martinique en 1694), note que l’aspect vestimentaire n’a pas tellement changé depuis le Père du Tertre. A remarquer toutefois l’apparition des bijoux en or chez les esclaves, ce qui est expliquable par les petits revenus que ceux-ci ont, non pas par le don, mais par l’exploitation du petit jardin et la basse-cour personnels que les maîtres permettent, afin d’alléger leurs obligations d’entretien.
« …I1 est rare que les nègres soient chaussés, c’est-à-dire qu’ils aient des bas et des souliers. Il n’y a que quelques personnes de qualité, et encore en très petit nombre, qui fassent chausser ceux qui leur servent de laquais. Tous vont ordinairement nu-pieds et ils ont la plante des pieds assez dure pour se mettre en peine de souliers. De sorte que tous leurs habits consistent en des caleçons et une casaque. Mais quand ils s’habillent les dimanches et fêtes, les hommes ont une belle chemise avec des caleçons étroits de toile blanche, sur lesquels ils portent une candale de quelque toile ou étoffe légère de couleur. Cette candale est une espèce de jupe très large, qui ne va jusqu’aux genoux et même pas tout à fait. Elle est plisséepar le haut et a une ceinture comme un caleçon, avec deux fentes ou ouvertures qui se ferment avec des rubans sur les hanches, à peu près comme on voit en Italie et en France ces laquais qu’on appelle des coureurs. Ils portent sur la chemise un petit pourpoint sans basque, qui laisse trois doigts de vide entre lui et la candale, afin que la chemise. qui bouffe, paraisse davantage. Quand ils sont assez riches pour avoir des boutons d’argent ou garnis de quelques pierres de couleur, ils en mettent aux poignets et au col de leurs chemises. A leur défaut ils y mettent des rubans. Ils portent rarement des cravates et des juste-au-corps. Lorsqu’ils ont la tête couverte d’un chapeau, ils ont bonne mi?ne, ils sont ordinairement bien faits. Je n’ai jamais vu dans tous les lieux d’Amérique où j’ai été aucun nègre qui fût bossu, boîteux, borgne, louche ou estropié de naissance. Lorsqu’ils sont jeunes, ils portent deux pendants d’oreilles comme les femmes ; mais dès qu’ils sont mariés, ils n’en portent plus qu’un seul.
Les habitants qui veulent avoir leur laquais en formé, leur font faire des candales et des pourpoints de la couleur et avec les galons de leur livrée, avec un turban au lieu de chapeau, des pendants d’oreilles et un carcan d’argent avec leurs armes.
Les négresses portent ordinairement deux jupes quand elles sont dans leurs habits de cérémonie. Celle de dessous est de couleur et celle de dessus est presque toujours de toile de coton blanche, fine ou de mousseline. Elles ont un corset blanc à petites basques ou de la couleur de leur jupe de dessous avec une échelle de rubans. Elles portent des pendants d’oreilles d’or ou d’argent, des bagues, des bracelets et des colliers de de petite rassade à plusieurs tours ou de perles fausses, avec une croix d’or ou d’argent. Le col de leur chemise, les manches et les fausses-manches sont garnis de dentelle et leur coiffure est de toile bien blanche, bien fine et à dentelle. Tout ceci doit s’entendre des nègres et des négresses qui travaillent assez en leur particulier pour acheter toutes ces choses à leurs dépens. Car, excepté les laquais, et les femmes de chambres, il s’en faut bien que les maîtres leur don?nent tous ces habits et tous ces ajustements « .
D’après ces textes on comprend que les colons imposèrent un habit à l’européenne, Mais le sens de la parure, et celui des couleurs cette science depuis longtemps acquise de la mise en valeur de leur silhouette, dont les voyageurs ont été frappés en Afrique, ont imposé une transformation, et les ont modelé, pour créer le costume créole que nous connaissons.
Les coiffures elles-même ont retrouvé les savants plis et l’échaffaudage des coiffes de la côte Occidentale africaine ; les bijoux d’or ont mis leur discret scintillement dans les « mouchoirs » et les « têtes » calendées, rappelant ce ruissellement d’or que l’on peut encore aujourd’hui admirer sur certaines têtes de femmes à Dakar et Saint-Louis.