Histoire et Culture

Mobilier Créole par Anca Bertrand

Il n’existe aucune étude consacrée au meuble ancien des Antilles Françaises et les rares notes demeurent trop imprécises pour en déterminer l’évolution. On sait que c’est seulement après la Révolution Française que les colons pensent s’installer réellement dans les îles. Auparavant il y avait de fréquentes mutations de famille, comme le déplore Thibault de Chamvallon vers 1760, en parlant des colons qui demeurent le temps de faire fortune et partent ensuite vers la métropole. Il y a, en fait, peu de familles de colons aux Antilles Françaises qui peuvent affirmer être là depuis trois siècles. La Guadeloupe a subi une mutation assez violente à l’époque de Victor Hugues, car une partie des colons fut tuée pour leur appartenance à l’aile monarchiste et une autre partie dût s’enfuir vers les îles anglaises (Trinidad, Barbades, Sainte-Lucie, etc…).

C’est aussi à partir de la fin du XVIII° siècle que se répandent les bâtisses en pierre de taille, quoiqu’il en existât depuis le début de la colonisation. Mais c’est en nombre restreint que ces maisons en pierre existent, appartenant aux gouverneurs et aux officiers. La plupart des habitations sont construites en bois (sauf exceptions des habitations-forteresses où couchent la nuit plusieurs habitants et ceci à l’époque des guerres contre des Caraïbes).
On n’est pas à l’ameublement de luxe, mais au strict nécessaire comme nous le signalent les chroniqueurs Du Tertre, Père Labat, et Delawarde.
Le R. P. Du Tertre parle dans son HISTOIRE GENERALE DES ANTILLES des bois qui servent à la menuiserie : l’acajou, le bois de rose, les bois rouges, dont le courouça.
Il décrit l’Acajou rouge, que les Hollandais et les Anglais appellent mal à propos Cèdre et d’autres Sassafras. Il n’est pas mangé par les vers et résiste bien à l’humidité. On en fait des bardeaux pour couvrir les maisons, des canots, des barques toutes d’une pièce, et « les Capitaines des vaisseaux en apportent en France de grandes planches, dont l’on fait des violles et des coffres dans lesquels les hardes ne sont point endommagées de la vermine, et mesme retiennent la bonne odeur de ce bois ».
Le bois de Rose est appelé à la Martinique aussi du Cypre selon notre même chroniqueur. En Guadeloupe on l’appelle le bois marbré : « à cause que le coeur de l’arbre est jaspé de blanc, de noir et de jaune ». Il note par ailleurs « qu’en le travaillant il exhale une odeur si suave, que celle des roses n’est rien en comparaison : il est vray qu’elle se dissipe avec le temps, mais elle se renouvelle quand on coupe ou que l’on frotte bien fort le bois. Il est très bon pour bastir ». Le Père Labat raconte qu’à son arrivée à la Martinique (1694) il commande des chaises en bois de rose à un atelier fort bon du Robert.

Quant aux bois rouges, ils sont de diverses sortes, très beaux, fort résistants aux vers et à l’humidité et dont la texture est si dure que certaines variétés portent le nom de bois de fer et d’autres le courrouça. L’anecdote veut qu’un gascon, habitant la Guadeloupe, eut sa hache « rebroussée » par la dureté du bois, il la jeta au pied de l’arbre « et dit qu’il estoit COURROUÇA nom qui luy est demeuré depuis ». Le coeur de cet arbre courrouça est violet brun, presque noir comme l’ébène. Il est excellent pour bâtir et faire de la belle menuiseserie.
Les meubles qui nous sont parvenus sont faits en courbaril, mahogany plus tard en poirier des îles, en acajou, cypre, noyer des îles, etc… Ces meubles se trouvent autant dans la case du campagnard que chez le riche colon ce qui ne manque pas d’être curieux. Ceci pourrait s’expliquer par le fait que les artisans menuisiers, peu nombreux, travaillent pour toutes les demandes, et que la, solidité de ces meubles qui passent d’héritage en héritage finit, surtout chez les pauvres, d’assurer un mobilier que l’on est heureux de trouver d’une génération à l’autre.
Il y a peu d’artisans, quoique des privilèges leur sont accordés dès le début de la colonisation. Les habitations sucrières étant plus rentables, ils lâchent très tôt leur profession pour devenir des défricheurs. M. R. Despointes suppose que les premiers ébénistes vinrent de France sous Louis XV et qu’ils formèrent sur place des ébénistes, lesquels, et ceci apparaît évident à partir du style ‘Louis XVI, évoluent vers un style qui leur est particulier et où on distingue le mélange des divers éléments de décoration comme les corniches des armoires et le tournage des pieds.

Selon les chroniqueurs on remarque peu de beaux meubles au XVII° siècle. La vanité s’exprime surtout dans les habits des habitants note Du Tertre :
« la vanité qui règne dans les habits des habitants, n’a pas encore passé jusqu’à leur meuble ; car quelque coffre, une table, un lict et des bancs, font tout l’ameublement des Cases. Les personnes mariées ont des couches comme dans la France : mais les autres n’ont que des licts de coton pendant, dans lesquels ils se couchent à la façon des Sauvages et outre que l’usage en est commode, ils ne font pas de dépense, d’autant qu’il ne faut ny oreillier, ny draps, ny couvertures, de sorte qu’un bon lict de coton suffit pour la vie d’un homme ».
Dans son livre « Les défricheurs et les petits colons de la Martinique au XVII’ siècle » le R. P. Delawarde précise que ces hamacs sont faits aussi en feuilles de palmiste amorties au feu. Il précise qu’on fait des lits pour les gens mariés mais ne donne aucune précision quant au style ni bois employés. Un coffre ou un panier caraïbe pour serrer les hardes complète l’ameublement.

Il est certain que parallèlement à l’enrichissement des colons on peut suivre l’évolution de la demeure et de son ameublement. Les quatre chercheurs qui en Guadeloupe comme à la Martinique se sont intéressés au mobilier ancien antillais soit les soeurs Henriette et Adeline de Reynal, Raoul Despointes et Dr. Marcel Chatillon ont remarqué que ce mobilier créole se rattache par son style au travail dit « de port » français. Tous sont d’accord à relier ce style au commerce du bois qui a été très intense entre les îles et les ports atlantiques. Les armateurs ne manquent pas de faire venir le beau bois des îles en frêt de retour par les navires sucriers. Il est assez probable que pour occuper leur main-d’oeuvre pendant l’hiver, ces négociants montent des ateliers de menuiserie et on en trouve du bois dur des îles dans les menuiseries de quelques hôtels particuliers de Bordeaux. Après la guerre d’Indépendance des Etats-Unis, selon Adeline de Reynal, un commerce intense du bois s’instaure entre la Nouvelle Angleterre et les îles de la Caraïbe ; par cette voie aussi le style anglais s’introduit aux îles, où il subira certaines transformations selon le talent des ébénistes de la Caraïbe pour donner naissance à une variante de meuble que l’on appellera le style anglais des îles.

Parfois le style français comme le style anglais peuvent être facilement suivis aux îles, parfois le mélange des styles comme l’absence de tout ouvrage spécialisé, posent des questions. Ainsi les lits à colonnes posent un mystère, car il est difficile de déterminer l’origine de ceux trouvés. Les voyages inter-îles, extrêmement fréquents, les guerres de course, les événements de la Révolution Française ont déterminé une intense circulation de gens et de biens. Le lit à colonnes était bien le type convenant aux îles par des son dais-moustiquaire comme par la hauteur des pieds ce qui mettait à l’abri les habitants des éventuels serpents et autres bestioles. Plus tard les parents faisaient dormir les petits enfants en-dessous dut lit sur un tas de hardes, que l’on cachaient le jour. Par démonstration, Adeline de Reynal pense que l’on fît très tôt des lits à colonnes aux Antilles, dès Louis XV. Mais si ce lit Louis XV à pied de biche ou à coquille est pratiquement introuvable, on peut supposer que les ébénistes contournèrent les difficultés de sculpter dans un bois trop dur, en faisant des colonnes simples, droites, et qui ne manquent pas d’élégance. C’est dans les Antilles Anglaises que l’on trouva des lits Louis XV, caractérisés, sans pouvoir déterminer qui les avait fait ni comment ils y étaient arrivés.
Les plus anciens spécimens de lits à colonnes trouvés en Guadeloupe et en Martinique datent du XVIII » siècle et sont manifestement influencés par le lit de la Nouvelle Angleterre.

Un autre mystère est celui de la berceuse. dont on ne sait pas l’époque où elle apparut aux Antilles Françaises ; on sait seulement qu’elle est d’origine anglaise et on constate une infinie variété de types.
Quant à la console martiniquaise, de par les mensurations, que les soeurs de Reynal ont pu établir elles sont en pieds et pouces mesures utilisées avant Louis XVI, il est possible d’affirmer que ce très beau meuble date depuis fin 18, sans plus. Cette console servait très probablement d’écritoire pour les écrivains publics car sa hauteur est calculée pour s’en servir étant debout. La consultation des inventaires pourrait être une source de renseignements. Des écrivains nous signalent parfois de précieux éléments comme Frédéric Masson dans son livre consacré à « Joséphine de Beauharnais ». Joséphine venait de sortir de prison et achète en 1795 l’hôtel Chante-reine, qu’elle restaure et meuble. Les factures sont payées par Barras. Frédéric Masson note particulièrement « un secrétaire à glaces et colonnes de bois jaune, encadré de bois rouge avec miroir et dessus de marbre, une table de bois jaune octogone, avec dessus de marbre Porthor ; une table à écrire de bois de noyer, un vide-poche en acajou, un petit buste de Socrate en marbre blanc ; dans un coin une harpe de Renaud ».

Les meubles trouvés aux Antilles sont en fait devenus rares car l’histoire tourmentée de ces îles comme la négligeance, les modes, les cyclônes et les incendies ont fait disparaître beaucoup de pièces. La plupart de ce que l’on a trouvé était enfoui chez les gens de campagne, dans des cases et dont le lit ou la console, parfois un bahut ou une armoire était le bel ornement.

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